See life as it really is

- Il faut toujours qu'il se mêle de ce qui ne le regarde pas !
- Comment ça ? Qu'est-ce que je...

- On t'avait demandé quelque chose ? Je t'avais demandé quelque chose ? Ou le père Daniil ?
- Peut-être que oui !
- Quand cela ?
- Il aurait pu ! De toute façon, vous n'avez rien le temps de faire...
- Tu as fichu en l'air une belle icône !
- Tu avais dit toi-même qu'elle n'était pas fameuse, cette icône.

- Quoi qu'il en soit, elle était déjà trop bien pour toi ! Un artiste s'était donné du mal, il l'avait peinte tout seul...c'est qu'elle a au moins cent ans ! Et toi, tu la prends, sans rien demander à personne, et tu la barbouilles de bleu ! Tu crois que c'est simple, de restaurer une icône ? Des gars comme toi, on en trouve à la pelle ! Pour ce qui est de barbouiller...
- Je lui en peindrai une autre !

- N'oublie pas ce que je vais te dire : si tu veux apprendre, apprends, mais si tu ne veux pas, file d'ici au plus vite, et essaye de...J'ai passé trois ans à nettoyer les pinceaux de Daniil avant qu'il me confie une icône, un miracle ! Et pas pour la restaurer, juste pour la nettoyer !
- Tu n'as pas confiance en moi ?

- Comment pourrais-je avoir confiance en toi ? Tu mens comme tu respires ! Quand tu es rentré, hier, ta robe était toute poisseuse, toute collante ! Où étais-tu, hein ?
- Aux ruches !
- Et hier, tu m'as dit que tu étais allé te baigner ! Non, mais regarde de quoi tu as l'air...Regarde un peu la tête que tu as ! Lave-toi, au moins, frotte-toi avec de la terre, ou tu vas enfler comme un porc...
- C'est trop tard maintenant, ça ne servira à rien...

- Tu n'arrête pas d'inventer des histoires, frère ! Je me demande même si tu n'as pas attraper une maladie...
- Quelle maladie ?
- Ca doit être une maladie, ça, quand un homme ment tout le temps et n'arrive pas à s'arrêter !
- Oh, tout le monde ment ! Vous n'arrêtez pas de critiquer le père supérieur entre vous, et après ça, vous lui baisez la main...Le frère Nicolaï se soûle, et il se fait passer pour malade...Toi-même...

- Quoi, moi ?
- Oh, rien !
- Alors, pourquoi tu te tais ? Hein ?
- Toi non plus, tu ne dis pas toujours la vérité ! Quand tu n'aimes pas quelqu'un, on pourrait te taper dessus, tu n'iras jamais le lui dire en face ! Tu me prends pour un imbécile, ou quoi ?
- Et qui je n'aime pas ? Tu as complètement perdu la tête ou quoi ? Tu ne comprends donc rien...Regarde, Foma !
- Quoi ?

- Regarde, je te dis !
- Regarder quoi ?
- Rien, idiot ! Je ne comprends pas comment j'ai pu te prendre comme élève !
- Avec toi, c'est toujours comme ça ! Tu changes tout le temps d'avis. Tu as dit toi-même que je voyais mieux que tout le monde !
- Qui voit mieux que tout le monde ? C'est moi qui ai dit ça ?
- Oui
- Tu rêves !
- Quand le père Daniil t'a demandé ton avis sur les élèves, tu m'a désigné en disant : "Celui-là, il voit sous la terre, et puis il aime le bleu azur." Oui, oui...
- Tu étais quelqu'un d'autre à l'époque, tu te donnais du mal, tu ne mentais pas...
- Cela n'empêche pas que je vois mieux que tout le monde !
- Quoi ?
- Oui...
- Quoi, "oui" ? Bon, très bien ! Tu es en train de faire une bêtise ! Tu vas nettoyer les pinceaux pendant trois ans ! C'est tout ?
- Eh bien...

- Qu'est-ce que c'est ?
- Eh bien, quoi...C'est un saule...avec du lierre.
- Du lierre ! Tu parles de lierre ! C'est du houblon, imbécile !
- Bon, alors, du houblon...
- "Bon, alors, du houblon" ! Non, pas : "Bon, alors, du houblon", mais : "du houblon" !
- Pourquoi cries-tu ? C'est toi qui me cherches, et en plus, tu cries !
- Tu vas nettoyer les pinceaux pendant trois ans, mon garçon ! Tu es un ignare, frère ! Le houblon, mais c'est...c'est...C'est quelque chose de complètement différent. Il ne connaît aucune règle. Regarde, il a lancé cette vrille vers la droite, et il voulait déployer celle-là à gauche, mais il n'avait pas la place, alors il l'a fait pendre vers le bas, et comme ça aussi, c'est beau ! Ce houblon ivre, il ne connaît aucune loi. Tous les arbres poussent vers le haut, les herbes et les fleurs aussi, mais lui, tu vois, il a grimpé le long du tronc, et comme il ne pouvait pas aller plus haut, il s'est mis à pousser vers le bas. Et tout est parfait. Il décore comme ça lui chante...Tu sais, tu es devenu tellement intelligent que je vais arrêter de t'instruire.
- A quoi bon m'instruire ? Puisque de toute façon, je vais nettoyer les pinceaux !

- Ca suffit ! Je n'en peux plus ! Je-n'en-peux-plus ! Va étudier auprès de Kiril, et que Dieu me pardonne !
- Bon, d'accord ! Non, mais sans blague...
- Fomaaa ! Pauvre martyr, va Allez, viens ici !
- Je ne viendrai pas !
- Quoi ?
- Rien !
- Viens vite ! Regarde ce qu'il y a ici...

 

Dialogue extrait du film Andrei Roublev (Andrei Tarkovski, 1966)